La collation particulière
Numéro #VAGUEMESTRE
Aujourd’hui on part en rando avec Olivier. Olivier est vaguemestre au CHPC. Pour faire vite : c’est le facteur de l’hôpital.
Il est 7h30, Olivier dit Allez on va se promener et démarre la voiture. On est dans un Renault Kangoo qui affiche 307 000 km au compteur. On trace dans Cherbourg juste avant que le trafic se densifie. On discute alors qu’on attend ensemble que le rideau métallique de la mairie se lève.
Ce que je retiens :
1 - on a beaucoup de choses à faire
2 - il ne faut pas qu’on soit en retard
3 - donc il faut qu’on se dépêche
Depuis février que je viens à l’hôpital, tout le monde me parle du temps. Du temps qui manque, qui va trop vite. Du temps qu’on aimerait pouvoir accélérer ou ralentir.
>la force de l’habitude
Ce métier - Vaguemestre - c’est une histoire d’habitudes calibrées, de timings serrés et de rendez-vous à ne pas manquer : arriver exactement en même temps que les employé.e.s de la mairie, éviter les bouchons, être présent pile à l’ouverture de La Poste.
Que ce soit à la mairie, à la Poste ou à l’hôpital, Olivier connaît tout le monde. Les gestes, les trajectoires, le contact avec les personnes : c’est une mécanique bien rodée, le programme défile.
On récupère le courrier, des recommandés, des colis, des registres d’état civil aussi à la mairie. Il connaît tellement les habitudes des gens que pour moi qui débarque, j’ai l’impression qu’Olivier peut prédire l’avenir immédiat.
Puis retour rapide à l’hôpital dans le bureau d’Olivier pour trier et distribuer le courrier.
Son bureau est séparé du couloir par un mur composé de 80 boîtes aux lettres. Chaque boîte correspond à un service, à des personnels, à des établissements externes aussi. Je retiens deux noms de casiers : Avenue qui qu’en grogne et Mimi. Mimi j’apprends plus tard que c’est le service Médecine Interne et Maladies Infectieuses.
On commence par le tri. Ou plutôt : Olivier commence par le tri. J’essaye d’aider mais il y a tellement d’acronymes, de noms et de spécificités à connaître que je suis complètement perdu.
C’est un paysage qui m’est étranger.
Le tri dessine la tournée. Tout le courrier est disposé dans l’ordre des services que l’on va parcourir. C’est un travail rigoureux. On place les plis dans l’ordre, dans des bacs équipés de grands intercalaires. Tout ça vient trouver sa place sur un chariot à roulettes bleu qui va nous accompagner pour la tournée et parcourir tout l’hôpital.
Tout est en ordre, on part pour la distribution :
Là encore très vite il est question de raccourcis et d’astuces gagnées par la force de l’habitude.
La clé c’est l’organisation et la mémoire (des codes, des noms, de tout). Olivier peut accéder à quasiment tous les services.
> un paquet de courriers et un paquet de bonjours
Le temps de la tournée on croise facilement plus d’une centaine de personnes.
Ça fait un paquet de courriers et un paquet de bonjours. On a pas le temps de vraiment discuter, mais juste ce qu’il faut pour se taquiner, prendre des nouvelles ou faire une petite blague. Ce contact direct et ce temps d’échange, c’est un supplément non négligeable. Même si tout ça est très rapide on sent qu’il se joue quelque-chose que personne n’aurait envie de voir disparaître.
La mission principale reste de distribuer et faire circuler le courrier interne le plus rapidement possible. Si ça passait par La Poste il faudrait attendre 48h de plus. Là, c’est plus rapide, plus efficace et aussi plus humain. Derrière ces lettres il y a des patient.e.s. Plus les informations circulent rapidement, meilleure sera la prise en charge des soins.
Comme je pose beaucoup de questions on prend un peu de retard et on se retrouve dans le trafic des ascenseurs. Ça se joue à pas grand chose.
> Ca-va-ti toi facteur ?
Dans les couloirs on croise un collègue qui lance à Olivier ça-va-ti toi facteur ?
Olivier a commencé par me parler de promenade mais en fait on est plutôt sur une rando rigoureuse.
C’est le même principe que la tournée d’un facteur ou d’une factrice, mais à l’intérieur de l’hôpital. Dans chaque service, à chaque étape, on livre du courrier et on récupère aussi des documents à transmettre à d’autres services.
Si la tournée le permet, ces documents collectés seront redistribués le matin même dans le service approprié. C’est un système simple, efficace et intelligent qui économise de l’énergie et du temps.
Finalement, c’est comme animer une discussion géante entre les services.
Il y a encore beaucoup de courriers papiers, de documents imprimés qui circulent dans l’hôpital. Les documents voyagent en interne dans des grandes enveloppes en kraft. Les enveloppes sont trouées pour qu’en un coup d’œil on puisse savoir si elles contiennent du courrier ou non. C’est malin.
L’après-midi Olivier reprend sa voiture pour poursuivre une tournée externe, dans les labos ou chez les médecins.
On regarde ensemble les statistiques qu’il tient sur son activité : le mois dernier il a distribué 15 777 lettres.
☼ Content ☼ d’avoir ☼ passé ce moment ensemble ☼
Merci à Olivier, vaguemestre
du Chpc pour l’accueil et la visite complète.
Cette publication existe grâce à la volonté et à l’engagement :
du Frac Normandie et de son équipe, notamment Pierre ;
du CHPC, notamment Cindy ;
Cette résidence bénéficie du soutien de la Drac Normandie dans le cadre du dispositif Culture Santé et Médico-social et du CHPC.
Version papier imprimée sur les presses du CHPC en septembre 2025,
au service reprographie avec Sandrine.
Les typographies utilisées sont Luciole et Publifluor
La diffusion de ce journal sur votre plateau repas
est rendue possible par les équipes de la Cuisine du CHPC : un grand merci.
Si vous souhaitez m’écrire, c’est possible : bonjour@antoinegiard.com
→ un magazine réalisé par Antoine Giard à partir de rencontres avec les personnels de l’hôpital et diffusé directement sur votre plateau repas. J’espère que ça vous a plu.
La collation particulière
Bonjour et bienvenue !
Invité par le Fonds régional d'art contemporain de Normandie (Frac), je mène depuis février 2025 une résidence avec les patient.e.s et les équipes du CHPC (Centre hospitalier public du Cotentin).
Qui prépare les repas ? Qui distribue le courrier ? Qui s'occupe des tenues des soignant·es et du linge des résident·e·s des Ehpad ? Qui archive les données des patient·e·s dans de grands dossiers papier ? Je m'intéresse aux métiers qu'on ne relie pas intuitivement à la notion de soin et qui en sont pourtant indissociables. A l'hôpital, je rencontre des personnes passionnées qui maintiennent l'ambition d'un service public de qualité, malgré des conditions d'exercice complexes.
Découvrez-ici les version numériques des éditions imprimées distribuées sur tous les plateaux repas de l'hôpital. Bonne lecture !
Premier épisode : #Vaguemestre
Deuxième épisode : #Cuisine
La collation particulière est une résidence menée avec le FRAC Normandie, en partenariat avec le Centre hospitalier public du Cotentin à Cherbourg-en-Cotentin dans le cadre du dispositif Culture Santé et Médico-Social.
Remerciements :
L'équipe du Frac Normandie, notamment Pierre Ligier
Les équipes du CHPC notamment Cindy Bernard
Camille Miossec de l'Artothèque de Cherbourg